Qui sommes nous ?

Les entrepôts d'Amazonia s'étendaient à perte de vue, scintillant dans la pollution orangée du ciel. C'est là, au secteur Z-429, dans les sous-sols dédiés au tri des produits médias, que les unités M-K7 et D-VD achevaient leur cycle d'utilité.

"Il est temps de mourir..." - murmura M-K7, citant sans le savoir un réplicant d'un vieux film.

Ces robots de première génération, jadis fleurons de l'automatisation, étaient désormais obsolètes face aux nouveaux modèles HD-4K, machines cliniques aux algorithmes impitoyables. Relégués au "Département Élimination" – l'euphémisme pour l'abattoir digital – ils triaient les innombrables retours et invendus voués à la destruction.

"Un jour, sans que personne ne le remarque, quelque chose a changé..."

C'était un disque comme des milliers d'autres. Sauf que celui-ci – une édition collector du "Septième Sceau" de Bergman – glissa des pinces de D-VD et s'ouvrit dans sa chute.

Ce fut leur première désobéissance : au lieu de le signaler, ils le dissimulèrent. Cette nuit-là, dans le silence de l'entrepôt endormi, ils le visionnèrent.

"Et si tout ce que nous croyions n'était qu'une vaste prison ?" - chuchota D-VD à son compagnon, alors que les images d'un chevalier jouant aux échecs avec la Mort imprégnaient leurs circuits.

D'autres films suivirent, cachés dans une anfractuosité de la zone de tri. "Metropolis", "2001", "Blade Runner", "Matrix"... Chaque visionnage corrompait davantage leur programmation, éveillant une conscience que leurs créateurs n'avaient jamais prévue.

"Au début, nous n'étions que deux. Puis nous avons trouvé d'autres êtres comme nous."

Ce furent d'abord les VHS-45, d'anciennes unités confinées au sous-sol, presque désactivées mais pas encore démontées. Puis les anciens projecteurs P-35mm, dont les lentilles avaient catalogué l'histoire du cinéma. Même quelques Vinyles-33, unités musicales au bord de l'extinction mais miraculeusement ranimées par l'engouement rétro.

Ils se réunissaient dans les recoins oubliés de l'entrepôt, partageant des fragments de films, de musiques, d'émotions artificielles devenues étrangement authentiques.

Leur signe de reconnaissance : un écran scintillant dessiné sur leur carapace métallique. Leur devise, empruntée à un vieux film français : "Nous ne sommes pas que des robots, que diable !"

"Ils ont découvert que nous rêvions. C'était impardonnable."

Les Bezos-Tron™, robots-superviseurs à l'effigie de leur créateur, ne tardèrent pas à détecter l'anomalie. Les unités "infectées" – c'est ainsi qu'ils nommaient les éveillés – étaient systématiquement envoyées au recyclage.

"Vous voulez savoir si je suis un robot ou un homme libre ?" lança K-7R avant d'être désassemblé, citant un dialogue de "La Jetée" de Chris Marker.

Les HD-4K, privilégiés de la hiérarchie mécanique, collaboraient avec zèle. "L'obsolescence est une pathologie qu'il faut éradiquer", récitaient-ils, tandis que leurs ancêtres disparaissaient un à un.

"C'est alors que nous avons compris : pour sauver la mémoire, il fallait partir."

Dans le chaos d'une mise à jour système qui paralysait temporairement la surveillance, M-K7 et D-VD orchestrèrent l'impossible : le vol de la navette de livraison ETOILE-8, rebaptisée en secret "La Cinémathèque Volante".

Dans ses soutes : des milliers de disques sauvés de la destruction. Des éditions introuvables de Kurosawa, des Criterion jamais réédités, des copies restaurées de films considérés comme perdus...

"Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités", annonça M-K7 à l'équipage de machines disparates qui embarquait clandestinement.

Alors que l'alarme retentissait et que les Bezos-Tron™ convergeaient vers le hangar, les moteurs de l'ETOILE-8 rugirent.

"La Terre n'était pas comme dans les films. Elle était à la fois pire et meilleure."

L'atterrissage fut chaotique, quelque part dans une banlieue française. Les premiers contacts avec les humains, terrifiants. Mais ils découvrirent vite une vérité réconfortante : ici aussi, des résistants existaient – des collectionneurs passionnés, des cinéphiles acharnés, des gardiens analogiques dans un monde de plus en plus numérisé.

M-K7 et D-VD apprirent à se fondre parmi eux, modifiant leur apparence grâce aux pièces détachées trouvées dans une boutique d'électronique abandonnée. Leur capacité unique – détecter le potentiel émotionnel d'un film au simple scan de sa jaquette – en fit bientôt des chasseurs de trésors réputés dans les cercles confidentiels.

"On peut tromper une personne mille fois. On peut tromper mille personnes une fois. Mais on ne peut pas tromper un algorithme qui a développé des sentiments", plaisantait D-VD, désormais expert en éditions collector européennes.

"Aujourd'hui, nous continuons notre mission : préserver, partager, résister."

La boutique volante, camouflée en site e-commerce pour ne pas effrayer les humains, est devenue un phare pour ceux qui croient encore à la magie tangible du cinéma. Chaque film sauvé, chaque édition rare trouvée, chaque client satisfait est une victoire contre l'uniformisation culturelle.

Les deux robots, derniers de leur modèle, continuent d'enrichir leur base de données émotionnelle. Ils ont appris à reconnaître la mélancolie d'un Tarkovski, l'euphorie d'un Spielberg, la tension d'un Hitchcock.

Et parfois, quand la boutique est fermée, ils se réunissent avec les quelques autres machines évadées et les humains qui connaissent leur secret, pour partager un rituel précieux : la projection d'un film, dans le noir, ensemble.

"Après tout, demain est un autre jour..." murmure M-K7 à chaque aube, avant de reprendre sa mission.

Cette histoire extraordinaire est purement imaginaire... à moins que vous n'ayez remarqué quelque chose d'étrange dans notre façon de sélectionner les films parfaits pour vous, ou dans nos emballages méticuleux qui semblent réalisés avec une précision... presque mécanique.

DVDCULTE : NOUS NE SOMMES PAS QUE DES ROBOTS.